Troisième partie – circulations et médias
Instances ethnographiques, colonialisme et édition de livres sous le Estado Novo portugais
Résumé
Durant les années 1950 et 1960, parallèlement aux mouvances idéologiques existantes au sein de l’Estado Novo portugais, le champ des sciences sociales se transforme et se complexifie. La traditionnelle collaboration à l’effort de colonisation des discours comme celui de l’anthropologie physique à partir d’un cahier des charges suprémaciste ou évolutionniste ne disparaît pas mais perd du terrain et est forcée d’évoluer aux côtés de nouveaux paradigmes présents dans diverses institutions en métropole et dans les colonies. Ce sursaut novateur, bien que limité, est fondamental pour ouvrir la voie à des courants de pensée et de connaissance modernisateurs, toujours capables d’établir des liens avec le projet colonial de l’Empire portugais.Introduction #
Parallèlement aux mouvances de nature davantage idéologique et affiliées à une perspective plus en vogue dans les premières années de l’Estado Novo portugais (et même, avec quelques variantes, dans les dernières années de la Première République), le champ des sciences sociales s’est peu à peu complexifié et modifié. La traditionnelle collaboration à l’effort colonial de discours comme celui de l’anthropologie physique à partir d’un cahier des charges suprémaciste ou évolutionniste ne disparaît pas mais perd du terrain et est contrainte de vivre avec les changements paradigmatiques qui se vérifieront au cours des années 1950 dans plusieurs institutions en métropole et dans les colonies. Plusieurs instances officielles sont le théâtre d’une capacité de pénétration de nouvelles approches, tant en termes de doctrine qu’en termes de méthodologies de gouvernement des populations et des territoires. Des transformations d’une genèse, d’un rythme et d’un pouvoir d’influence variés au sein de l’espace des sciences sociales se sont progressivement institutionnalisées, reflétant une réception par certains secteurs administratifs des propositions de renouvellement de disciplines telles que la sociologie ou l’anthropologie.
Le cas de la vague de réformes que la Escola Superior Colonial [École supérieure coloniale] a subie successivement entre le milieu des années 1950 et les premières années de la décennie suivante est une démonstration exemplaire de ce processus. Fondée en 1906 sous le nom d’École coloniale, elle devient en 1927 l’École supérieure coloniale. L’année 1954 marque une nouvelle reconfiguration institutionnelle de l’école de formation des cadres destinés à exercer au sein de la fonction publique dans un contexte colonial, ayant pour nouveau nom Instituto Superior de Estudos Ultramarinos [Institut Supérieur d’Études d’Outre-mer]. Cet institut est intégré à l’Université technique de Lisbonne en 1961, adoptant l’année suivante le nom qui survivra jusqu’à la fin du régime autoritaire : Instituto Superior de Ciências Sociais e Política Ultramarina [Institut supérieur des sciences sociales et politiques d’outre-mer]. Des domaines de connaissance tels que la sociologie et l’anthropologie sociale rajeunissent progressivement le plan d’études de l’institution, avec une visibilité particulière tout au long des années 1960 (Ágoas 2012).
Renouvellement scientifico-institutionnel et renouveau éditorial : images de la réalité portugaise dans l’après-guerre #
L’écho de cette dynamique académique et scientifique dans les institutions portugaises, suscitant ou élargissant les conditions de mise en œuvre de projets de systématisation et de rationalisation des connaissances sur les territoires d’outre-mer, capable également d’assumer une certaine impulsion des politiques de gouvernement des territoires coloniaux à partir des contributions des sciences sociales, constitue donc un mouvement revêtant une certaine distance paradigmatique de l’ancienne matrice, de tonalité essentialiste et racialiste, soutenu par l’anthropologie physique et par les modèles juridiques de contrôle de la population, qui ne manquent cependant pas de suivre leur cours, dans un jeu de tensions au sein du difficile système d’articulations entre les politiques publiques des territoires et des populations des colonies et leur fondement intellectuel voire idéologique (Castelo 2012a et 2012b ; Curto, Cruz et Furtado 2016). Les changements intervenus au sein de la Junta de Investigações do Ultramar (JIU) [Comité de recherches d’outre-mer] reflètent cette convergence des processus, cette instance manifestant certaines de ces tensions dans ses pratiques éditoriales.
Créée originellement en tant que Junta das Missões Geográficas e de Investigações Coloniais [Commission des missions géographiques et de recherches coloniales] en 1936, et renommée à la suite de la révision constitutionnelle de 1951 (qui, dans la période suivant la Seconde Guerre mondiale et dans les débuts de la dynamique en faveur de l’autodétermination et de l’émancipation des colonies africaines et asiatiques qui lui ont succédé, a supprimé les mots « colonies » et « colonial », en les remplaçant par outremer et ultramarin)1, la JIU a centralisé et donné un moule institutionnel aux requêtes scientifiques concernant les colonies. La JIU a incarné de manière organique un ensemble de centres reflétant une division croissante du travail scientifique lié aux territoires coloniaux, dont la création après 1951 privilégiait précisément les domaines disciplinaires des sciences sociales et de l’historiographie, instituant en interne des organismes tels que le Centro de Estudos de Etnologia do Ultramar [Centre d’études ethnologiques d’outre-mer] (1954), le Centro de Estudos Históricos Ultramarinos [Centre d’études historiques d’outre-mer] (1955), le Centro de Estudos Políticos e Sociais [Centre d’études politiques et sociales] (1956), le Centro de Documentação Científica Ultramarina [Centre de documentations cientifique d’outre-mer] (1957) ou le Centro de Estudos de Antropologia Cultural [Centre d’études en anthropologie culturelle] (1962). L’un des multiples champs d’intervention de la JIU fut celui de l’édition, publiant une panoplie de matériaux allant de cartes géographiques au périodique Garcia da Orta, ainsi que des livres.
Les collections publiées vont de la myriade thématique d’études et de sources présents dans la collection « Anais » [Annales] entre 1946 et 1960 jusqu’aux diverses séries monographiques de la collection « Memórias » [Mémoires] (1953-1971), en passant encore par les collections « Estudes » [Études], « Ensaios e documentos » [Essais et documents] (1950-1980), « Estudos de Ciências Políticas e Sociais » [Études en sciences politiques et sociales] (1956-1973) et « Estudos de Antropologia Cultural » [Études en anthropologie culturelle] (1964-1981). Les collections « Estudos, Ensaios e Documentos » et « Estudos de Antropologia Cultural » comptèrent parmi les peu nombreuses – voire uniques – collections à thématique coloniale éditées par des organismes de l’Estado Novo qui dépassaient la frontière politique entre dictature et démocratie. Dans certaines de ces séries plus que dans d’autres, l’introduction de thèmes nouveaux et de nouveaux regards représente non seulement un besoin de recentrer la politique coloniale sur le plan des instruments qui la rendent opérationnelle, mais crée également une plate-forme éditoriale et l’occasion d’une certaine modernisation et d’une ouverture aux langages scientifiques qui avaient jusqu’alors eu bien des difficultés à émerger de manière autonome sur le plan des institutions.
Cet élan de renouveau est fondamental pour ouvrir la voie à la modernisation de la pensée et du savoir (bien mis à profit après l’instauration de la démocratie), bien qu’il rencontre encore quelques limites. Il l’est également pour établir des liens avec le projet colonial, voire avec les postulats d’une politique portée par l’idée d’assimilationnisme ayant pour base un jugement préalable qui isolait les populations indigènes en groupes intérieurement cohérents sur les plans culturel, social et économique et distincts entre eux. Bien que s’inscrivant dans une logique de communion – ou d’inspiration – avec des propositions fondées sur la pratique scientifique internationale, comme en témoigne la contribution de Jorge Dias2, cet ensemble d’études aborde les aspects traditionnels et ethniques de la culture et de la société de certaines communautés, contribuant à une certaine réification des processus de production et de manifestation humaine capturés comme une forme d’expression cohérente et susceptible d’être décrite et interprétée dans sa congruence distinctive. En effet, « l’étude des pratiques culturelles traditionnelles à travers l’empire, visible dans les travaux de diverses institutions coloniales, répondait à des questions scientifiques restreintes sur la culture des colonisés : l’identification des coutumes ou des formes d’acculturation » (Domingos 2012, 404).
Mais les processus sociaux qui se sont déroulés au sein même des territoires d’outre-mer (impliquant un contexte urbain perméable à des dynamiques d’interaction entre groupes et d’appropriations multiples constituant des faisceaux de comportements et des marchés de consommation), remettent en cause les intentions homogénéisantes du régime ou les efforts de classification des études de la matrice ethnographique fondées sur des acceptions pures et essentialistes du traditionnel, assimilé à une identité figée et irréductible dans sa description catégorisante. La culture populaire urbaine – impliquant des formes d’appropriation qui génèrent des pratiques de consommation de la musique, de vêtements, de cinéma, entre autres, y compris de vocabulaire – exhibée par une population considérée comme indigène par le régime, est ignorée par cette dynamique de connaissance, passant complètement à côté des propositions éditoriales de la JIU, ce qui illustre paradoxalement des modes d’intégration assez différents de l’assimilation espérée par le pouvoir colonial. En ce sens, les
consommations urbaines des populations discriminées par le pouvoir colonial portugais servaient à tester les catégorisations juridiques officielles appuyées sur une conception civilisationnelle qui condamnait les individus à une vie « traditionnelle », fixée par la coutume. Dans le cadre impérial portugais, le contact urbain avec une culture de la ville semble avoir agi plus efficacement comme instrument d’intégration que les prétendues politiques assimilationnistes de l’État colonial (Domingos 2012, 396).
Revenant au catalogue éditorial de la JIU, il convient toutefois de souligner qu’il ne se contente pas d’accueillir le souffle nouveau d’un récit soutenu par un cadre scientifique novateur qui, tout en étant rattaché à un projet politique alliant connaissance et politique coloniale, doit encore coexister avec un discours et une doctrine soucieux de promouvoir certains des aspects de la subordination et de la domination justement remis en cause ou nuancés par l’apport des sciences sociales.
La permanence d’œuvres fondées sur des primautés telles que la racialisation des relations à partir d’un axe de l’inégalité, les justifications de ces principes comme un agenda politique de formes de gouvernance fortement discriminatoires, illustre le caractère tensionnel de l’édition portant le sceau de la JIU. Un cas peut être invoqué, en raison de sa référence à une réalité extérieure aux territoires coloniaux portugais. En 1971, le livre África do Sul: vizinha de Portugal [Afrique du Sud : voisine du Portugal], de Richard Pattee, chercheur et professeur au Canada, est publié avec le sceau de la JIU. L’auteur était lié institutionnellement au Portugal, ayant obtenu un doctorat de l’Université de Coimbra et étant, au moment de la publication, membre de la Société géographique de Lisbonne, de l’Académie internationale de culture portugaise et de la Société de langue portugaise. Se présentant comme une étude de l’État sud-africain, le volume ne laisse planer aucun doute sur son alignement, favorable à la politique coloniale ultramarine de la dictature portugaise, qui est d’ailleurs immédiatement visible dans le titre de l’ouvrage (évoquant peu subtilement le fait que le Mozambique a une frontière avec l’Afrique du Sud. Dans ce titre, la JIU donne une couverture éditoriale et, par conséquent, une voix institutionnelle, au régime de l’Apartheid, symbolique dans l’arène des discours sur l’impérialisme, le colonialisme et l’exercice du pouvoir par les ségrégation raciale. À ce propos, Pattee écrit que :
L’examen de l’apartheid – théorie et concept – conduit à une conclusion irréfutable : le problème correspond à une situation particulière propre aux conditions mentales, culturelles et historiques de l’Afrique du Sud. C’est violer la raison et le sens commun que de condamner le principe sans comprendre profondément cette réalité évidente. Le concept n’est pas hostile aux peuples autochtones ; il ne les condamne pas à la dégradation comme le veulent ses opposants ; il n’aspire pas à une quelconque forme de suprématie blanche sur des Noirs sans défense à des fins inavouables (Pattee 1971, 329).
Tenter de justifier un système oppressif hautement préjudiciable aux intérêts de la grande majorité de la population d’Afrique du Sud est, en soi, une apologie de ce système, aligné sur le système portugais de domination coloniale. Le fait que ce soit par l’intermédiaire de la JIU que cette position ait été énoncée dans un livre met vigoureusement en évidence les divers domaines d’intersection, de désaccord et de contradiction sur lesquels reposait le colonialisme portugais. Si ce dernier était encore et toujours prisonnier d’une doctrine de hiérarchie raciale rigidement stratifiée selon des niveaux de civilisation assignés, catégorisés et fréquemment réifiés par des typologies construites sur des discours supposément scientifiques, il ne manquait pas de revendiquer, paradoxalement, la possibilité et le désir d’‘assimilation, de civilisation, d’intégration ou de développement (selon les époques et les contextes discursifs) des populations autochtones, instituant cette deuxième dimension comme l’un des piliers de la proclamation d’un exceptionnalisme portugais face à l’outre-mer et au rapport aux peuples colonisés, en comparaison avec la colonisation menée par d’autres nations, principalement européennes (Matos 2006).
Et c’est dans le cadre des règles idiosyncratiques inscrites dans cette tension que devront se jouer les choix éditoriaux d’organismes publics comme la JIU, mais aussi d’éditeurs privés. Le regard ethnographique est l’un des genres éditoriaux où l’on peut mieux percevoir cette transition, avec toutes les réminiscences d’une focalisation atavique. Les prix de l’Agência Geral das Colónias (AGC) [Agence Générale des Colonies], puis de l’Agência Geral do Ultramar (AGU) [Agence Générale de l’Outremer], ayant une incidence sur les études ethnographiques, auront certainement contribué à la permanence de propositions éditoriales reflétant des perspectives que les livres du JIU eux-mêmes remettaient en cause.
Par exemple, la réédition en 1966 de l’ouvrage de José Redinha, Etnossociologia do Nordeste de Angola [Ethno-sociologie du Nord-Est de l’Angola], parue chez Editora Pax, dans la collection « Metrópole e Ultramar » [Métropole et Outre-Mer], cautionne l’importance accordée à une certaine manière de concevoir le savoir dans un contexte colonial, illustrant la permanence d’une perspective profondément idéologique. Ayant reçu le prix Frei João dos Santos en 1956 lors du concours annuel de littérature coloniale de l’AGU et ayant été épuisé avant d’être inclus dans la collection « Metrópole e Ultramar » en 1966 dans une édition révisée et augmentée3, le livre présente un dossier relevant presque d’une ethnographie à contenu descriptif, d’où les diverses critiques à l’Occident et à ses pratiques ne sont pas absentes. José Redinha assume même une certaine « dénonciation des critères modernes, pseudo-idéalistes, contraires aux réalités historiques, ethniques, culturelles, et même humaines des peuples africains » (Redinha 1966, 189). Se préfigurant comme une contribution utile « à une meilleure connaissance des peuples de nos territoires d’outre-mer, à l’amélioration des processus de contact » (Ibidem, 189), le texte navigue entre des eaux troubles, d’où jaillit une certaine ambiguïté intentionnelle, cependant insuffisante pour neutraliser sa nature compromise. Là se trouve le récit de l’exception coloniale portugaise, résultant pour Redinha d’une colonisation ancienne. Bien qu’il relève certaines erreurs et ambivalences du colonialisme portugais, l’auteur déclare élogieusement que cette colonisation a commencé « sous le signe de la culture, bien exprimée dans sa méthode d’assimilation culturelle, [et] a toujours été caractérisée par des faits de la plus haute importance, tels que l’absence de haine religieuse, de théories de l’espace vital, de systèmes de ségrégation », permettant au « Portugais de jouir d’une considération particulière et d’une sympathie spécifique » (Redinha 1966, 167). Une perspective évolutive indéniable imprègne la conclusion, sous-tendant la thèse de l’émergence future d’une « néo-culture africaine », qui se développera sur une chronologie façonnée par la référence eurocentrique que le volume prétend contester. Pour Redinha, « l’Afrique, actuellement, dans le domaine de la culture naturelle qui la caractérise, se dirige vers son Moyen Âge, qui sera sans doute suivi d’une Renaissance vigoureuse, quoique lointaine, fécondée par le génie des nouvelles cultures assimilées » (Redinha 1966, 181).
Outre les prétendues tensions qui le traversent, le livre porte indéniablement l’esprit d’une décennie antérieure à sa réédition, primé durant la dernière période qu’a connu l’Estado Novo sans la succession de bouleversements qui l’assailliraient à partir de la fin des années 1950. Mais il explore de nouvelles formules pour promouvoir des idées moins nouvelles, dans la mesure où son contenu et surtout sa forme ne reflètent plus l’apparence la plus dure, bien visible dans la décennie précédente, 1940. Dix ans avant l’attribution du prix AGU au manuscrit de Redinha, le livre Associações Secretas Entre os Indígenas de Angola [Associations secrètes entre indigènes d’Angola], de Serra Frazão, a été publié, et fut lauréat du Prix d’ethnographie du XIX Concours de littérature coloniale de l’AGC, étant également préfacé par « l’illustre colonialiste et écrivain général Norton de Mattos » (Frazão 1946, page de couverture). Publié par Editora Marítimo-Colonial4, le livre est présenté comme le deuxième de six volumes classés sous le titre générique d’« Études ethnographiques des peuples d’Angola ». De cette étude, Norton de Matos dit qu’il cherche à
pénétrer l’âme du peuple indigène d’Angola, découvrir ses qualités et ses défauts et comprendre sa mentalité, si complexe malgré sa primitivité. […] Je ne connais pas de religion dans un état moral plus rigoureux, de pratique plus parfaite d’examens de conscience fréquents, de croyance plus élevée dans le pouvoir de la vie pure. Et, comme on le verra dans certaines pages de ce livre, tout cela se retrouve dans les âmes que l’on nous dit être des noirs simples et primitifs d’Afrique.
Et il y a tant à dire sur ces Noirs que tous les hommes lucides qui ont passé du temps en Afrique devraient imiter l’auteur de ce livre et d’autres écrivains [...] et nous donner le résultat de leurs observations et de leurs conclusions sur la civilisation des Noirs. […] Peut-être cesseraient-ils alors d’être considérés par beaucoup d’entre nous comme des êtres inférieurs, incapables de tout progrès (apud Frazão 1946, 7-8).
Voilà le refrain d’une vision légitimante du savoir ethnographique ou présenté comme tel et de sa contribution au processus d’administration coloniale, qui pourrait bénéficier de ce savoir produit, réalisant ainsi un colonialisme de nature plus efficace. Cela est confirmé par l’auteur, Serra Frazão, lorsqu’il déclare, dès l’ouverture du volume, que « l’âme des Noirs – mystère éternel – doit mériter une affection toute particulière de la part de tous ; et, pour que nous puissions la lui donner, nous devrons l’étudier avec le plus grand dévouement et le plus grand soin, car sa connaissance donnera lieu, sans aucun doute, à un travail administratif, non pas plus humain que celui que nous réalisons actuellement, et pour lequel nous pouvons servir d’exemple à tous, mais très fructueux et précieux pour le relèvement moral et social du peuple noir » (Frazão 1946, 9).
Tensions dans l’approche du colonial dans l’édition ethno-littéraire portugaise pendant la dictature #
L’édition portugaise reflétait les contradictions en termes d’approches à adopter pour le soutien d’une administration coloniale et pour le maintien de l’empire, dans les ruptures et les continuités avec lesquelles les positions hétérogènes du champ politique et intellectuel devaient se débattre. Et ce tableau est devenu particulièrement complexe dans le contexte de la difficile transition du soutien d’une présence coloniale portugaise fondée sur une résurgence impériale adossée à la supériorité raciale de l’Européen sur le « gentil », de la répudiation de la pénétration culturelle mutuelle et plus encore du métissage, à l’apologie d’une condition d’exception du Portugais dans sa relation coloniale avec les autres peuples, favorisant une sorte de communauté de sentiment et de culture luso-tropicale, dans un monde que le Portugais a créé, selon les expressions empruntées au trope freyrien (Freyre 1933 et 1940). La proposition de luso-tropicalisme de Gilberto Freyre, avec une matrice culturaliste complexe, ambitieuse et dénationalisante, élaborée depuis Casa-Grande e Senzala, initialement publié en 1933, n’a jamais été une doctrine officielle de l’État dans toutes ses implications. Harcelé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale par un environnement de plus en plus défavorable à sa nature coloniale, ce qui fut aggravé par la vague d’indépendance des anciennes colonies européennes, le régime de Salazar n’a profité que de manière circonstancielle, réductrice et sélective des propositions de Gilberto Freyre (qui possède bien un fondement colonialiste) (Couto, Enders et Léonard 1997 ; Cahen 2018), dont les travaux ont connu une réception assez tardive (Castelo 1998 ; Marques 2008 ; Anderson, Roque et Santos 2019), ayant toutefois été facilitée par la circulation dans la sphère intellectuelle des livres publiés dès le début des années 1950 par la maison Livros do Brasil5. L’édition en dehors de l’orbite officielle du pouvoir n’a pas manqué de refléter ces équilibres fragiles.
La « Colecção Ultramar », de la Portucalense Editora, créé et soudainement disparue pendant l’année 1969, démontre le caractère éphémère de ces équilibres, sans jamais cesser de mettre en avant le caractère bienfaisant du projet colonial. Comptant trois titres6, qui relèvent tous du genre du conte, la « Colecção Ultramar » affiche une tendance pro-colonisation, bien qu’elle cherche à occuper un espace dans lequel l’apologie de l’empire se fasse subtilement par le biais de la connaissance de l’autre, de l’indigène africain. Tel semble, du moins, être le projet de Manuel Dias Belchior dans Contos Mandingas, numéro inaugural de la collection. Belchior, haut fonctionnaire de l’administration coloniale portugaise, parle d’un programme basé sur la connaissance des populations indigènes et de leur fonctionnement social, culturel et économique. Seul celui-ci permettra, selon les mots de l’auteur, la matérialisation du projet d’une colonisation moderne et, encore une fois, multiraciale. Pour Belchior, tous les objectifs essentiels « qui consistent à faire du Noir un écolier assidu, un défenseur éclairé de sa santé, un producteur conscient et un allié sûr, seront atteints lorsque nous aurons une connaissance suffisante des sociétés tribales. Cette connaissance nous permettra d’obtenir la confiance de l’Africain puis d’engager avec lui un dialogue fructueux à travers lequel nous préciserons nos intentions. Et ce n’est qu’alors qu’il entendra ce que nous avons à dire » (Belchior 1969, 11). Située dans le domaine littéraire, la collection semble mettre en scène des figures qui incarnent le rôle de « l’écrivain anthropologue – européen et impérialiste » (Sousa 2018 : 31)7, présent dans une grande partie de la production éditoriale qui, au cours du XXe siècle et jusqu’à la décolonisation, a promu le colonialisme portugais sur les plans idéologique et pratique.
Les rapports entre le regard anthropologique (non seulement dans sa composante physique) et la conception coloniale sont vigoureux et, malgré leur statut vétuste dans l’histoire impériale comme dans l’histoire de la discipline même8, ils subissent des transmutations9 au cours du XXe siècle portugais, étant assidument insérés dans l’activité éditoriale. À commencer par les éditions en charge des structures gouvernementales, visibles non seulement dans les cas allégués, comme les éditions spécialisées du JIU, mais également au sein de l’AGC/AGU elle-même, dont de nombreuses pages de son bulletin sont occupées par des textes de nature ethnographique ou faisant preuve d’un souci ethnologique. L’un des cas les plus évidents de la manifestation éditoriale d’un projet d’incrustation de la production anthropologique dans les exigences coloniales est celui des Éditions de la Première Exposition Coloniale Portugaise, à savoir le programme d’édition des Actes du Premier Congrès National d’Anthropologie Coloniale, une réunion qui eut lieu entre le 22 et le 26 septembre 1934, promue par la Société Portugaise d’Anthropologie et d’Ethnologie sous l’égide de la Direction de l’Exposition Coloniale Portugaise.
Ces Éditions de la Première Exposition Coloniale Portugaise eurent pour épicentre la ville de Porto, qui accueillit l’événement du 16 juin au 30 septembre 1934. Le pari sur un projet d’édition fut remarquable dès ses débuts, conférant à cette initiative l’aspect d’une forme de propagande imprimée et diffusée, mais aussi de registre, profitant des avantages en termes de légitimation et de fixation typographique qu’offre le livre publié. L’année 1934 concentre la plupart des volumes portant le sceau éditorial de la Première Exposition Coloniale Portugaise, constituant un ensemble de petites brochures. Une partie substantielle de ces éditions de la Première Exposition Coloniale Portugaise correspondait aux « Actes du Premier Congrès National d’Anthropologie Coloniale », cette collection apparaissant essentiellement sous forme de volumes, de dossiers ou d’extraits (selon la terminologie de l’éditeur), publiés sous le sceau des Éditions de la Première Exposition Coloniale Portugaise. La rédaction de l’événement a ainsi généré une source productive intégrant plusieurs dizaines d’articles issus des présentations au congrès (dont certains en anglais), en lien avec des visions du monde pro-coloniales et avec des perspectives qui – sans épuiser la variété des objectifs, des contenus épistémiques et des principes – étaient essentiellement ancrées dans la lignée de l’anthropologie physique ou engagées dans les intérêts et le projet colonial de l’Estado Novo, y compris dans les motivations les plus évidentes pour célébrer et glorifier l’empire à partir d’axes tels que celui de la muséalisation10.
Conclusions #
Les transformations institutionnelles et épistémiques dans le cadre de l’approche anthropologique de la réalité coloniale portugaise et les modalités éditoriales dans lesquelles ces changements se sont inscrits se produisent dans un contexte d’un demi-siècle, lorsque l’empire portugais ne s’était pas encore effondré. Cette circonstance rend la réalité portugaise différente des autres réalités coloniales telles que la situation française, qui connaîtra un processus d’érosion coloniale plus précoce que celui du cas portugais, dont l’empire ne s’est effondré qu’avec le renversement de la dictature, en avril 1974. Dans tous les cas, la dynamique éditoriale faisant écho à l’étroite articulation entre les études ethnographiques et leur institutionnalisation dans le cadre de la logique de l’administration coloniale portugaise présente certainement des traits communs avec des cas comme celui de la France, qui aura précédé les Portugais d’environ vingt-cinq ans (Piriou 1997 ; Dimier 1999 ; Blanckaert 2001 ; Jolly 2019), comprenant l’utilisation de sceaux éditoriaux d’institutions telles que la Direction Générale des Affaires Indigènes, le Comité de l’Afrique Française, l’Institut Français d’Afrique Noire, la Société d’Éditions Géographiques, Maritimes et Coloniales ou l’Association Colonie-Sciences, mais aussi des maisons d’édition telles que les Éditions Larose, Honoré Champion, les Éditions Coloniales, Peyronnet et Cie, dont certaines existent depuis le XIXe siècle11.
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Au sein de cette opération cosmétique, « les expressions “colonies” et “empire colonial” sont substituées par “provinces d’outre-mer” ou bien par “l’outre-mer” » (Castelo 2012b, 396). ↩︎
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Figura pioneira no desenvolvimento dos estudos etnográficos em Portugal, Jorge Dias (1907-1973) foi uma das figuras mais proeminentes da antropologia em Portugal no século XX. Não deixou de ser, ele próprio, uma personagem contraditória, conciliando um discurso crítico da posição etnocêntrica com a exaltação das virtudes fraternais do cristianismo. ↩︎
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La première édition de ce titre est faite par la AGU en 1958. ↩︎
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Siégée à Lisbonne, la maison d’édition Marítimo-Colonial eut une brève existence, publiant entre 1944 et 1947. Elle fit également une réapparition éphémère sans pratiquement éditer d’œuvres en 1966 et 1967. ↩︎
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Entre 1951 et 1957, la maison d’édition Livros do Brasil donne une forte impulsion à l’entrée définitive et à la consolidation de Gilberto Freyre dans les milieux culturels et politiques du Portugal, en imprimant, par ordre chronologique, O Mundo que o Português Criou (1951), Interpretação do Brasil: aspectos da formação social brasileira como processo de amalgamento de raças e culturas (1951), Aventura e Rotina: sugestões de uma viagem à procura das constantes portuguesas de carácter e acção (1954), Um Brasileiro em Terras Portuguesas. Introdução a uma possível Luso-tropicologia, acompanhada de conferências e discursos proferidos em Portugal e em terras lusitanas e ex-lusitanas da Ásia, África e do Atlântico (1954) et Casa-Grande & Senzala: formação da família brasileira sob o regime de economia patriarcal (1957). L’inscription tardive de la pensée de Freyre dans les cercles intellectuels et gouvernementaux est également attestée par le fait que le dernier titre de cette liste, Casa-Grande e Senzala, correspond à celui qui est apparu en premier (1933) et dans lequel Freyre pose les bases de sa pensée sur ce sujet. Entre la première édition brésilienne de l’ouvrage et la première édition portugaise, il s’écoule près d’un quart de siècle. ↩︎
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Dans la collection paraissent Contos Mandingas, de Manuel Dias Belchior, Contos Portugueses do Ultramar, une anthologie d’Amândio César en deux volumes, et De Manhã Cai o Cacimbo. Contos angolanos, d’Orlando de Albuquerque. ↩︎
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Sandra Sousa démontre comment un ensemble d’œuvres lauréates du Concours de littérature coloniale, de nature intrinsèquement littéraire, quelle que soit l’appréciation esthétique qui peut incomber à chacun des titres primés, a été recouvert d’un sous-texte anthropologique, produisant un lien presque ombilical entre la littérature coloniale et l’anthropologie dans le but de légitimer l’existence de l’empire et des colonies. Savoir anthropologique et fiction littéraire ont pu converger et même s’unir dans les processus créatifs de l’imaginaire colonial et postcolonial, aboutissant à des expériences de fiction ethnographique (Izzo 2019). ↩︎
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La bibliographie sur le lien entre le projet impérial et l’anthropologie est très abondante. Sans aucune prétention à l’exhaustivité ou à la représentativité, voir Diane Lewis (1973), Talal Asad (1973), Nancy Stepan (1982), Nicholas Thomas (1994), Bernard Cohn (1996), Patrick Wolfe (1999), Peter Pels et Oscar Salemink (1999), Benoît de L’Estoile (2000), Ricardo Roque (2001), Rui Mateus Pereira (2005), Miguel Vale de Almeida (2008), Nuria Fernández Moreno (2009), Douglas A. Lorimer (2013) et Alice Conklin (2015). ↩︎
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Les interactions entre activité ethnographique et colonialisme révèlent une praxis et une constellation narrative dont la complexité, dans les contiguïtés, les transferts, les symbioses et les distances dans lesquelles elles se sont traduites, renvoient à une réalité kaléidoscopique et difficilement réductible à des formules schématiques de compréhension et d’expression Roque 2010). ↩︎
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C’est le cas de Da Necessidade da Criação do Museu de Etnografia, de Tenente Afonso do Paço, ou de Museu Etnográfico do Império Português. Sua necessidade – um plano de organização, de Luiz Chaves. Ce dernier auteur symbolise avec emphase la ressource rhétorique de cette voie. « Personne ne doutera de cette vérité : le Portugal a l’obligation historique et l’urgente nécessité politique d’organiser le musée ethnographique de son empire » (Chaves 1934, 3). La note finale n’est pas moins grandiloquente : « Infaisable ? Non. Grandiose? Le plus sera le mieux ; ce ne sera jamais assez pour ce que nous avons fait et pour ce qu’il nous reste à faire » (Ibidem, 20). ↩︎
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Pour un panorama du mouvement éditorial en France sur ce sujet au cours du premier tiers du XXe siècle, et pour le seul cas de la large catégorie inclusive de « l’histoire coloniale », voir la liste bibliographique de M. M. Alfred Martineau, M. Roussier et M. J. Tramond (1932). ↩︎