Colonialismes et colonialités

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Première partie — mises en perspective théoriques

Comparativismes Combinés et Inégaux : Repenser le champ des études littéraires africaines à l’aune du débat sur la littérature mondiale

Résumé Le projet “Comparativismos Combinados e Desiguais: Repensar o campo dos estudos literários africanos e pós-coloniais à luz do debate sobre literatura-mundial”, financé par la Fondation de recherche de l’État de São Paulo (REF. 2020/07836-0), se concentre sur un corpus littéraire et théorique hétérogène, abordant des œuvres littéraires et des théorisations de périodes et de contextes différents afin d’établir des contrepoints entre les écrits et les auteurs. Prenant en compte les développements récents des débats théoriques et conceptuels sur la littérature-monde à partir de la dimension systémique formulée par Franco Moretti (2013) et développée et approfondie par le Warwick Research Collective (WREC, 2015 et 2020), le projet vise à repenser l’approche de la littérature-monde à partir de la dimension systémique, le projet vise à repenser les paradigmes critiques qui guident les domaines des études littéraires africaines et postcoloniales dans le contexte brésilien en contrepoint des débats internationaux, en cherchant à cartographier leurs transformations face aux défis qui marquent aujourd’hui l’étude de la littérature et, plus généralement, des sciences humaines, à l’intérieur et à l’extérieur du Brésil.

1. Territoires (disciplinaires) superposés #

La relation disciplinaire entre les études littéraires et les études régionales (Spivak 2003) est l’une des questions centrales du champ comparatiste dans divers contextes académiques et géographiques contemporains1. L’urgence de la révision méthodologique et conceptuelle qui marque la littérature comparée à partir de la fin des années 1990 correspond à l’urgence de la (re-)définition du champ et de la méthode comparée, c’est-à-dire de la discipline de la littérature comparée comme manière de voir et d’imaginer le monde (Said 1993 ; Moretti 2013). Affronter le problème de la dimension communément appelée eurocentrique ou, plus généralement, de ce qui a été défini comme autre, devient un impératif critique central de la littérature comparée – en tant qu’institution et en tant que champ disciplinaire – dont les tentatives de résolution ont donné vie à un débat critique complexe et divers, configurant ce sujet comme un questionnement urgent et indispensable pour (re-)configurer les modèles d’analyse et les cartographies critiques qui ont marqué les littératures comparées depuis au moins les trois dernières décennies. Concernant les questions liées à l’eurocentrisme, il est important de souligner le sens de cette catégorie au sein de notre réflexion et à cet égard, comme l’affirme Paulo de Medeiros, il est important de noter que :

Au sein de l’attaque générique contre l’eurocentrisme [...] se trouvent deux failles liées à : premièrement, l’amalgame regroupant tout ce qui est européen sous une unité fictive qui, bien que correspondant à un rêve d’homogénéité, n’a pas de contrepartie réelle dans une Europe fragmentée et divisée, se déchirant souvent elle-même ainsi que les membres qui la constituent ; deuxièmement, l’oubli de ces parties d’Europe que « l’Europe » elle-même a souvent tendance à oublier, ses propres, et nullement centraux, autres dominés. (Medeiros 1996, 43)

Ainsi, il apparaît fondamental de reconnaître le caractère et le sens essentiellement idéalistes de la notion d’eurocentrisme, notant la manière dont le glissement sémantique continu entre européen et eurocentrique – comme en témoigne le Collectif de Recherche Warwick à la lecture de l’important article de Rey Chow, « The old/new question of comparison in literary studies: A post-European perspective » (WREC 2020, 79 et ss.) – peut conduire à un malentendu sur les facteurs qui déterminent une vision encore partielle et peut-être dépassée de la littérature comparée, promouvant des visions essentialistes et artificielles de ce qui est défini comme modèle européen et comme eurocentrisme, sans chercher à mettre en évidence les facteurs et les conditions qui ont déterminé l’émergence et la persistance de ces modèles et de ces visions dans la compréhension d’une tendance majoritairement idéaliste. Les facteurs et le système qui ont déterminé une hégémonie européenne – en termes de modèles et de valeurs – dans un processus de dématérialisation et d’homogénéisation de l’Europe qui soutient la notion d’eurocentrisme, deviennent fondamentaux pour (re-)définir des disciplines et des méthodes comparées et, en ce sens, il convient de souligner que : « l’idée d’un nouveau comparatisme dans les études littéraires n’a de sens que dans le contexte d’une théorie englobante du système-mondial (capitaliste) » (WREC 2020, 84).

Dans le cadre de ce débat, l’intersection entre littératures africaines et théorie postcoloniale comme champs d’étude contigus et en croissante affirmation dans le contexte académique brésilien et international, tout en étant à la fois profondément transformés par des phénomènes d’instabilité méthodologique et conceptuelle – ce qui a été dernièrement défini comme exotique postcolonial, crise ou mort de la discipline2 en vient à déterminer des processus de réception critique qui semblent mettre en avant – encore que partiellement – des phénomènes de banalisation esthétique et d’évidement conceptuel de ces littératures, aussi bien que des cadres critiques qui en découlent, au-delà du soutien de limites disciplinaires un tant soit peu artificielles, en ce qui concerne les possibilités d’intersection entre littératures comparées, littératures africaines et théorie post-coloniale. En observant, par exemple, des sujets, des concepts et des méthodologies qui guident la fortune critique des littératures africaines en langue portugaise dans des contextes académiques pour ainsi dire « lusophones »3, un ensemble de théorisations émerge. Celles-ci peuvent être synthétiquement systématisées à travers les critères suivants : des études qui se concentrent sur la question de la nationalité et du nationalisme littéraire, cherchant à mettre en évidence la convergence entre le roman africain en langue portugaise, la nation politique et/ou les idées nationalistes (identité nationale, littérature et nation, etc.) ; des analyses visant à établir des relations immédiates – c’est-à-dire sans médiation – entre l’écriture littéraire et les contenus culturels et/ou identitaires (tradition, identité culturelle, raciale, entre autres) ; des approches caractérisées par des hypothèses conceptuelles et des paradigmes philosophiques, pour ainsi dire, globaux (pouvoir, violence, exception, entre autres) articulés à partir de géographies conceptuelles typiques des contextes occidentaux/européens, mettant en place une configuration quelque peu problématique du concept d’universel4.

Soulignant par avance la grande diversité, ne serait-ce qu’en termes de finalités (objectifs) et de théories (méthodes) sous-jacentes et, simultanément, résultant de ces systématisations, il est possible d’affirmer que, pour certains thèmes et concepts, cette pratique critique présente une certaine usure herméneutique, configurant certaines de ces études et démarches comme une répétition (ou citation) de chemins déjà (depuis longtemps) parcourus, ou encore aboutissant à des conclusions inexactes – lorsqu’elles ne sont pas équivoques – sur les contenus socioculturels de la littérature5. Seraient-ce peut-être là les symptômes des (diverses) crises auxquelles sont confrontées les études humanistes dans différentes géographies institutionnelles à l’échelle mondiale et, par conséquent, également dans le domaine des études de la littérature africaine lusophone, à l’intérieur comme à l’extérieur du Brésil ? En d’autres termes, ce qui se manifeste aujourd’hui dans le champ disciplinaire des études de la littérature africaine en portugais – ou plutôt de la littérature africaine au sens large – est une nette urgence à redéfinir et à réorienter les paradigmes critiques qui guident ce champ du savoir6. Un changement qui a d’abord été suggéré par les caractéristiques que l’on décèle dans ces littératures, c’est-à-dire par la manière dont les écrits africains contemporains enregistrent leurs questions, leurs réponses et leurs propositions. À cet égard, pensons surtout au sens qu’a encore aujourd’hui l’observation de ces littératures du point de vue des systèmes littéraires nationaux, cadre qui semble davantage déterminé par la nécessité d’affronter la nation comme un moment libérateur du colonialisme – c’est-à-dire de réitérer l’affirmation d’une nation littéraire – davantage que l’observation des modalités par lesquelles la littérature enregistre le fait social, présent comme passé. Fait social qui ne peut quant à lui qu’être vu partiellement comme une stratégie de résistance et d’opposition à la domination coloniale, en raison de l’accumulation de transformations socio-historiques déterminées, par exemple, par le multipartisme, par les conflits armés et civils d’après l’indépendance, par les changements déterminés par les capitaux financiers internationaux et, plus généralement, par les phases et transformations du système capitaliste dans les contextes socio-économiques d’innombrables pays du continent africain7. Ayant en vue les récents développements des débats théoriques et conceptuels sur la littérature mondiale/world-literature à partir de la dimension systémique formulée par Franco Moretti (2000 et 2013) et postérieurement développée par le Collectif de recherche de Warwick [Warwick Research Collective] (WREC 2015 et 2020), il est possible de réfléchir à certains des paradigmes critiques qui régissent les champs des études littéraires africaines dans le contexte brésilien (ou plus généralement en langue portugaise) en contrepoint aux débats internationaux, cherchant à en cartographier les transformations – présentes et futures – face aux défis qui marquent aujourd’hui l’étude de la (des) littérature(s) africaine(s), au sein et en dehors du Brésil.

2. Roman africain et (semi-)périphérie #

Les problématiques qui guident conceptuellement le projet de recherche en cours – et que ce chapitre entend aborder partiellement – sont configurées comme des matrices pour l’élaboration d’un chemin de réflexion qui convoque certains des débats critiques les plus actuels dans le domaine des Humanités afin de définir, d’une part, un domaine d’étude (ou domaine disciplinaire) – encore inédit dans le contexte académique brésilien – comme celui des Littératures africaines comparées8 et, d’autre part, afin de systématiser le débat critique post-colonial dans sa relation aux études décoloniales, culturelles, matérialistes, de genre et féministes9. Deux mouvements – distincts et simultanément complémentaires – qui guident le projet et qui, dans le cas du présent texte, ne seront que partiellement présentés, restreignant le regard au champ des études africaines, mettant l’accent sur la catégorie conceptuelle du roman africain (semi-)périphérique.

En ce qui concerne le champ des études littéraires africaines aujourd’hui, il faut mettre en relief l’urgence de mener une pratique critique et disciplinaire ancrée sur des présupposés conceptuels qui, comme l’affirme Gayatri C. Spivak, considèrent le roman (africain) comme un « moyen culturel actif » (active cultural media) et non pas comme un « objet pour l’étude culturelle » (as object of cultural studies), pensé et conçu à partir de l’« ignorance métropolitaine » sur son sens et sur les conditions matérielles et contextuelles de sa production (Spivak 2003). Particulièrement emblématique à cet égard est l’utilisation du concept de tradition pour l’observation du roman africain contemporain, soulevant des interprétations critiques qui semblent indiquer une part d’exotisme anthropologique (Huggan 2001), ce qui a caractérisé la réception de certains romans africains, notamment à l’apogée des littératures dites « postcoloniales », en particulier dans les contextes académiques nord-américain et britannique10. Dans le cadre de cette hypothèse méthodologique, ma réflexion vise à proposer la productivité d’une catégorie critique qui correspond à la désignation de roman africain (semi-)périphérique dont l’esthétique s’éloigne de ce qui a été défini comme un réalisme de type idéal (Lowy 2007), offrant la possibilité de réfléchir sur des formes et des esthétiques qui, de par leur périphéricité, offrent des registres littéraires lisibles à travers les concepts (politiques et esthétiques) de combinaison et d’inégalité (WREC 2020). Cette hypothèse conceptuelle et théorique est développée à partir des réflexions qui guident le champ de la littérature comparée, considérant le genre littéraire du roman comme une forme emblématique et privilégiée d’enregistrement social au sein du système économique mondial moderne11. Dans ce texte, sera également esquissée la convocation d’œuvres littéraires d’auteurs différents et de contextes différents – linguistique, géographique et géopolitique – correspondant à l’hypothèse méthodologique de textes choisis en raison de leur dimension paradigmatique et non simplement exemplaire (WREC 2020). Il s’agit donc d’ouvrages dont la systématisation semble interpeller les perspectives nationales et/ou linguistiques, pointant du doigt les problématisations qui hantent les cadres théoriques des études littéraires africaines et comparées, notamment le débat qui s’opère dans le contexte de la littérature(-)monde / worl(-)literature12. Face à la notion de roman africain (semi-)périphérique comme catégorie théorique et conceptuelle centrale pour la constitution du champ d’étude des Littératures africaines comparées, il s’agit d’esquisser la définition d’un corpus qui se configure comme un possible point de départ pour la réflexion sur les littératures africaines dans le cadre d’une réflexion sur la littérature mondiale, selon la proposition présentée par le WREC, et, par conséquent, face à la littérature comme registre des conditions « combinées et inégales » qui régulent les relations humaines, politiques et sociales au sein du système capitaliste moderne13.

Si l’on observe la recherche qui se concentre sur les littératures africaines, en particulier dans les contextes académiques lusophones, les théorisations de nature linguistique et nationale sont présentées comme les cadres théoriques les plus fréquemment utilisés et consolidés. Sur cet aspect spécifique, les dimensions de rupture et de continuité avec le paradigme de la littérature coloniale (Noa 2008) sont centrales, montrant une nette contiguïté entre le champ critique de la littérature africaine et la théorisation de la formation de la littérature brésilienne. De ce présupposé émerge la centralité des axes critiques qui constituent la réflexion proposée par des théoriciens brésiliens de grande importance dans le domaine des études littéraires à l’intérieur et à l’extérieur du Brésil, comme, par exemple, Antonio Candido, Roberto Schwarz, Silviano Santiago et Alfredo Bosi, c’est-à-dire une dimension d’alternance (dialectique ou non) dominée par des constellations conceptuelles telles que ordre/désordre, local/universel, colonial/national, autochtone/étranger, tradition/modernité pour penser les processus de formation de la littérature des pays d’Afrique lusophone14.

Par ailleurs, en ce qui concerne le champ d’étude de la littérature africaine en portugais, c’est aussi l’ensemble des réflexions qui correspondent à la formation littéraire – le circuit essentiel auteur-lecteur-livre – qui trouve son application la plus productive dans la communauté interprétative15. Je pense, par exemple, à des œuvres comme Formação do Romance Angolano (Chaves 1999) ou encore l’œuvre critique d’essayistes et d’académiciennes pionnières dans les domaines des Littératures Africaines, comme Maria Aparecida Santilli, Laura Cavalcante Padilha, Tania Macedo, Carmen Tindó Secco mais aussi, en d’autres côtés de l’Atlantique, Fátima Mendonça, Lourenço do Rosário, Gilberto Matusse, Francisco Noa, Pires Laranjeira, Inocência Mata, Ana Mafalda Leite, entre autres.

En somme, il s’agit d’innombrables chercheurs qui, dans leurs divers essais, voient dans la théorisation de la formation littéraire proposée par Candido un paradigme critique hautement utile – voire indispensable – pour penser la formation de la littérature nationale dans les pays africains ayant le portugais pour langue officielle. Or, pour certains d’entre eux, les coupes chronologiques analysées correspondent, d’une part, à celles des manifestations littéraires (telles qu’elles sont définies dans la Formação da Literatura Brasileira [Formation de la littérature brésilienne]) qui anticipent l’indépendance politique en tant que telle, convoquant, dans certains cas, des œuvres et des auteurs qui se situent dans la période de consolidation et de contestation de la littérature coloniale (par exemple, dans les années 1940) et, d’autre part, les générations de poètes et de romanciers qui, encore sous l’influence de la colonisation portugaise et du régime de Salazar, anticipent dans leurs œuvres la poétique de l’autonomie esthétique et de l’autodétermination politique qui inaugure la dernière décennie des indépendances de l’Afrique dite lusophone, qui aura lieu, on le sait, en 1974, près de vingt ans après ce qui est considéré comme la première indépendance en Afrique sub-saharienne : l’indépendance du Ghana en 1957.

Ainsi, parmi les écrivains composant la catégorie de la formation littéraire dans les pays africains lusophones, se trouvent au moins deux générations : celle des années 1950 et 1960, période définie comme celle du colonialisme tardif et de la Casa dos Estudantes do Império [Maison des étudiants de l’Empire], et celle de la fameuse génération de 1980 (la génération de l’utopie, pour citer le titre de l’important roman de Pepetela), qui furent des générations profondément engagées dans la construction d’une nationalité littéraire et, par conséquent, d’un ensemble de problématiques et de questions qui devraient (ou qui ne devraient pas) guider la littérature comme une pratique socioculturelle alliée à la construction politique d’une nation indépendante et enfin libérée du pacte colonial. Or, en ce qui concerne ce point, la dimension de rupture et de continuité avec ce qui a été défini comme un paradigme de la littérature d’outre-mer/coloniale (Noa 2002) est sans doute centrale ; rupture et continuité qui, en ce sens, sont liées aux matrices européennes de formation non seulement dans une dimension idéologique abstraite – c’est-à-dire, en tant que modèle esthétique et littéraire – mais aussi en tant que répertoires culturels et littéraires mobilisés par la même intellectualité africaine. Et je fais ici référence à l’incontournable centre d’incubation de la littérature africaine en langue portugaise que fut la Casa dos Estudantes do Império – qui a fonctionné à Lisbonne entre 1944 et 1965 – où la circulation des textes étrangers était importante, configurant ces traditions comme des répertoires littéraires et des modèles (originaux) à partir desquels les étudiants des colonies portugaises de l’époque s’engageraient dans l’écriture littéraire, développant leurs propositions esthétiques. D’où la centralité des axes critiques constituant la réflexion proposée par Antonio Candido dans Formação, à savoir : une dimension structurelle dominée par des constellations conceptuelles telles que ordre/désordre, local/universel, national/étranger, tradition/modernité pour penser les processus de formation des écritures littéraires de ces pays. En outre, en ce qui concerne le champ d’étude des littératures africaines lusophones – j’insiste sur la cartographie linguistique dans l’intention de la mettre délibérément en relief pour la réflexion que j’entends développer plus loin dans ce texte –, c’est également l’ensemble des réflexions correspondant à la dimension systémique de la formation littéraire, le circuit indissoluble et primordial auteur-lecteur-livre qui trouve son application la plus productive dans la communauté interprétative.

Ceci étant dit, il est donc essentiel de chercher à avancer quelques hypothèses liées à un changement substantiel intervenu dans les champs littéraires des pays africains lusophones (et au-delà) et qui semble inévitablement obliger à (re)penser les dynamiques et les relations qui caractérisent la littérature dans ces contextes, soulignant simultanément un ensemble de transformations dans la notion même de formation. En somme, les questions au départ de ma réflexion sont les suivantes : pour l’observation critique-interprétative des œuvres littéraires contemporaines – en particulier le roman – dans les pays africains ayant le portugais pour langue officielle, cela a-t-il encore un sens de recourir au paradigme de la formation pour penser de manière critique et théorique ces écrits contemporains ? Et, par conséquent – pour tenter de proposer une réponse – à partir de ces écrits, quelles sont les hypothèses permettant de penser la littérature comme système dans des pays où le système littéraire, au sens que lui attribue Antonio Candido, se montre encore précaire, insipide, et parfois même quasi-inexistant ? Or, pour que ces questions se précisent et permettent de développer des réponses plus substantielles, il devient nécessaire de convoquer deux hypothèses conceptuelles que je crois fondamentales. D’une part, un aspect qui relève de ce qu’on peut définir comme une hypothèse chronologique, à savoir : comment penser la formation des écritures contemporaines qui, dans le cas du Mozambique par exemple, se déroule après l’indépendance, après la la guerre de 16 ans (ou guerre civile), après l’avènement du multipartisme, après les crises traversées par le parti FRELIMO – qui pendant plus de quarante ans a dirigé le pouvoir politique et la gouvernance au Mozambique –, après le scandale de la dette cachée, après l’afflux de capitaux financiers internationaux (et la liste pourrait s’allonger) ; bref, après des moments et des processus de nature nationale, régionale et mondiale qui sont inévitablement enregistrés dans la littérature. En d’autres termes, comment l’accumulation et l’intersection des transitions et transformations politiques, économiques, culturelles et sociales ont-elles transformé esthétiquement et conceptuellement le genre du roman dans la littérature de langue portugaise ?

D’autre part, se pose ce qui peut être défini comme l’hypothèse cartographique, c’est-à-dire celle qui prend en compte l’importance de l’identité linguistique dans l’émergence du champ d’étude des littératures africaines (tout du moins pour l’anglais, le français et le portugais) et sa pertinence dans la réflexion systémique proposée par Candido (auteur-livre-lecteur), à savoir : de quelle manière la république des lettres africaines en portugais16 (langue littéraire exclusive des pays africains ayant été colonisés par le Portugal) fonctionne, au regard de ses homologues, francophones et anglophones tout du moins ? Autrement dit, comment comparer la dimension systémique qui soutient un livre comme Things fall apart de Chinua Achebe (1958) qui s’est vendu en entre 15 et 20 millions d’exemplaire et fut traduit en plus de soixante langues –, avec les systèmes littéraires dans lesquels s’inscrivent ses possibles congénères en portugais, comme Luuanda, de Luandino Vieira, A Geração de Utopia, de Pepetela ou encore Terra Sonâmbula, de Mia Couto ?

N’ayant pas ici la place pour présenter une discussion approfondie – qui impliquerait nécessairement de présenter et d’analyser un état des lieux quantitatif et qualitatif de la littérature produite dans ces domaines d’études17 –, je voudrais toutefois souligner, quoique brièvement, sa pertinence en vue, d’une part, d’une problématisation de la dimension systémique des littératures africaines et, d’autre part, de (re)penser – ou plutôt, pour reprendre une expression en anglais difficilement traduisible, to un-thinkla synthèse entre tendances universalistes et particularistes – la dialectique local/universel – comme paradigme fondateur de la formation littéraire dans divers contextes africains post-coloniaux, soulignant ce que je crois être une révision nécessaire des concepts sous-jacents à l’idée de formation, telle qu’elle est développée dans l’œuvre d’Antonio Candido, qui me semble aujourd’hui moins efficace que par le passé pour penser le roman contemporain dans et hors du continent africain.

Cependant, il est important de reconnaître sans équivoque la pertinence de la formulation proposée par Candido, d’une part en vue de l’établissement du processus fondamental de singularisation des littératures africaines en langue portugaise et, d’autre part, en vue de l’élaboration de périodisations historiographiques et de littératures spécifiques. À cet égard, il convient de souligner ce que déclare Jessica Falconi dans son article « Para além da Nação? Outras ‘decliNações’ das literaturas africanas de língua portuguesa » (2021) :

L’appel de Cândido à un « traitement particulier » devant être réservé à chaque littérature, « en vertu de ses problèmes spécifiques ou du rapport qu’elle entretient avec les autres » (Cândido 2000 : 9), ainsi que le modèle d’analyse de la « formation » de la littérature et le « système » littéraire national ont fait l’objet d’une réception et d’une appropriation dans les études de la littérature africaine en portugais, devenant des supports théoriques pertinents pour la « déclinaison » du paradigme national. En effet, en abordant certaines appropriations du concept de Cândido, Anita Moraes souligne la relation entre le concept de système littéraire national et les spécificités de la littérature qui ont émergé dans les contextes coloniaux (Moraes 2010 : 72). La distinction opérée par Cândido entre la notion de système comme une série d’« œuvres liées par des dénominateurs communs », intimement liées par la construction de la conscience nationale, et celle d’un « triangle auteur-œuvre-public » est fonctionnelle, dans la réinterprétation proposée par Moraes, pour identifier deux axes d’analyse distincts qui sont venus caractériser les appropriations du concept : un axe constitué par des « éléments internes », c’est-à-dire « un langage, des thèmes et des images partagés », et un axe formé par des « éléments externes », à savoir les producteurs, les récepteurs, le mécanisme de transmission et la continuité littéraire. (Cândido 2000, 23; Moraes 2010, 66). (Falconi 2021, 21-22)

Il s’agit donc d’un palimpseste critique fondamental, dont les réverbérations – distinctes et diversifiées surtout en termes conceptuels et opérationnels – dans le champ d’étude des littératures africaines de langue portugaise – hier et aujourd’hui – se configurent comme des étapes fondamentales dans la perspective de la consolidation de ce champ d’étude, aussi bien qu’en vue du processus fondamental de singularisation de ces littératures et de leurs champs respectifs de réflexion critique et esthétique. Et à cet égard, Falconi note également :

En particulier, en ce qui concerne le Brésil, il convient en effet de rappeler qu’une approche plus autonome des littératures africaines, c’est-à-dire sans lien avec les études de littérature portugaise, s’est construite dans les articulations théoriques et disciplinaires des Études Africaines et des Études de Littérature Comparée, établissant un espace critique marqué par de multiples frontières et trajectoires, que Laura Padilha a défini comme « un entre-lieu où différentes corrélations de force ont commencé à s’articuler » (Padilha 2002 : 331). Dans ce paradigme, le lien linguistique, hérité de l’histoire de la colonisation et du colonialisme, a fonctionné comme un outil de construction de ce qu’Abdala Jr a défini comme un « comparatisme de solidarité », s’étendant également à d’autres espaces géo-culturels, comme l’aire « ibéro-afro-américaine » (Abdala Jr 2003,127). (Falconi 2021, 31).

Cependant, la proposition conceptuelle et méthodologique qui entend être exposée et explorée dans ce texte s’inscrit dans ce que Falconi appelle « DecliNações Comparatistas » (2021, 26) – ce qui pourrait être traduit par « DécliNations Comparatistes », dans un jeu avec le terme « déclinaisons »18 – conduisant à la formulation de certaines hypothèses critiques et méthodologiques qui se présentent comme des changements substantiels dans le champ d’étude de la littérature africaine et qui nous obligent inévitablement à repenser les dynamiques et les relations qui caractérisent la littérature dans ces contextes, soulignant simultanément un ensemble de transformations dans les paradigmes qui guident ce champ d’étude, à savoir la littérature nationale, la formation et le système littéraire, l’identité linguistique. Or, les exemples d’œuvres littéraires indiquant une possible révision des cadres de lecture et d’interprétation critiques qui font partie du champ des études littéraires pourraient être innombrables ; dans l’impossibilité de développer une analyse plus détaillée19, il est important de souligner, par exemple, le cas de J. M. Coetzee, prix Nobel de littérature en 2003, dont l’œuvre littéraire occupe une place singulière dans le champ de la littérature nationale sud-africaine, ainsi que dans le cadre des débats critiques qui guident les littératures africaines contemporaines et la théorie postcoloniale. Ou, encore, l’on peut considérer le cas de l’auteur mozambicain contemporain João Paulo Borges Coelho qui, malgré une œuvre littéraire déjà vaste, reste peu étudié et lu au Mozambique et à l’étranger. Écrivain tardif, il publie son premier roman en 2003 et, pour diverses raisons, présente un projet littéraire qui s’inscrit dans une certaine inadéquation des périodisations et des esthétiques qui guident la littérature mozambicaine en concevant, dans son œuvre, un parcours spatio-temporel profondément singulier – individuel, résiduel et subjectif (Brugioni et al. 2020) – dans le souci de placer le territoire dépeint par sa littérature dans une dimension esthétique et politique qui dépasse les frontières dites nationales, à l’intérieur et à l’extérieur du continent africain. Ce sont, en somme, des propositions littéraires qui demandent une révision substantielle des paradigmes critiques qui guident le champ des études sur la littérature africaine, ainsi que des constellations conceptuelles qui configurent les études postcoloniales. Cela débouche, à travers l’observation de ces écrits, sur un national qui, comme l’aurait écrit Roberto Schwarz, se manifeste par sa soustraction (1987), obligeant à repenser un ensemble de paradigmes critiques – copie, original, propre, étranger, tradition – qui guident la pratique interprétative et l’étude du roman africain contemporain.

L’idée de copie dont il est ici question oppose le national à l’étranger et l’original à l’imité, oppositions qui n’ont pas lieu d’être et qui ne permettent pas de voir la part de ce qui est étranger dans ce qui est authentique, la part de ce qui est imité dans l’original, et également l’original dans ce qui est imité (…). Sauf erreur, le tableau suppose l’agencement suivant de trois éléments : un sujet brésilien, la réalité du pays, la civilisation des nations avancées – la seconde aidant la première à l’oublier. Ce schéma n’a pas non plus lieu d’être et empêche de percevoir ce qui importe, à savoir la dimension organisée et cumulative du processus, la force potentialisatrice de la tradition, dût-elle être mauvaise, les rapports de force en jeu, y compris internationaux. Sans préjudice en ce qui concerne ses aspects inacceptables (pour qui le sont-ils ?), la vie culturelle a sa propre dynamique, dont l’éventuelle originalité, ainsi que son absence, sont des éléments parmi d’autres. La question de la copie n’est pas fausse, tant qu’elle est traitée de manière pragmatique, d’un point de vue esthétique et politique, et dégagée de l’exigence mythologique d’une création à partir de rien. (Schwarz 1987)

Une révision qui semble indiquer des mises en perspective moins idéologiques et, par conséquent, plus pragmatiques, ou mieux encore, plus matérielles, ayant en vue des dynamismes non binaires, non ethnocentriques ou non essentialistes du culturel et du littéraire. Une révision qui en ce sens en devient fondamentale pour lire et aborder des œuvres littéraires s’éloignant des corollaires de la littérature nationale et ouvrant des possibilités critiques encore inédites dans le champ d’étude des littératures africaines contemporaines, indiquant d’autres perspectives comparatistes fondées sur des présupposés trans- et inter-linguistiques et trans- et post-nationaux20, dont les dédoublements sont constitués par des itinéraires d’analyse capables de remesurer les relations sociales et culturelles au-delà de la nation et, surtout, de reconfigurer la relation entre local/universel, traditionnel/moderne, autochtone/étranger, en ce qui concerne la possibilité d’écrire et de narrer le contemporain21. De cette manière surgit la possibilité de développer des perspectives comparatistes capables d’intégrer les transformations qui ont traversé le champ des études littéraires dans les vingt dernières années au moins, c’est-à-dire :

[…] suite à la constante subordination de la culture aux lois du marché, l’apparent déclin de l’importance, en des termes relatifs, de la littérature en soi comme forme de culture, et l’attaque continuelle à l’autonomie des humanités – et, en vérité, à l’université en tant que telle sous son apparence historique de tour d’ivoire, un « monde à part » pour le mal ou pour le bien de la part des régimes de gouvernement, de commerce et de médias, tous enclins de diverses manières à l’incorporation, au contrôle et à la régulation instrumentale prédéfinie. (WREC 2020)

Réfléchissant, par exemple, aux paradigmes qui régissent la réception critique des littératures africaines, cela reviendrait à dépasser l’impératif allégorique national – et je me réfère ici clairement au célèbre (et très contesté) texte de Frederic Jameson (1987) – qui est, dans une mesure non négligeable, sous-jacent à l’utilisation des cadres critiques de la Formação pour la systématisation historiographique des littératures africaines de langue portugaise. Ainsi, regarder le national littéraire à partir d’une lecture distante (Moretti 2013), ré-orientant la relation entre forme littéraire, espaces politiques et transformation sociale et, surtout, remettant l’individu et la subjectivité parmi les présupposés primordiaux pour comprendre le rôle de l’écriture littéraire et sa dimension inévitablement politique. À partir de la reconnaissance de l’existence, encore que seulement dans le champ de la critique des littératures africaines en portugais, d’œuvres littéraires qui ne peuvent être qu’artificiellement observée au prisme de leur identité nationale et/ou linguistique et pour lesquelles la dimension d’allégorie cesse de faire sens ou oblige à une nécessaire révision conceptuelle22, il est possible de tracer des itinéraires interprétatifs divers capables de dépasser les systématisations linguistiques qui servent de moule encore aujourd’hui au champ de l’étude des littératures africaines, et, surtout, de penser les littératures africaines à partir de thèmes et de problèmes qui sont formulés, pensés et – éventuellement – résolus au moyen de matières nationales aussi bien qu’étrangères ; c’est-à-dire que, là où la relation entre forme européenne – le roman – et matières locales – la célèbre et très ambiguë tradition – est pertinente, non pas en raison de sa relation dialectique, mais de la variation que cette « conciliation formelle » est capable de produire (Jameson 1993 dans Moretti 2013). À ce propos, comme Franco Moretti le dira dans ses célèbres Conjectures : « forme étrangère, matière locale et forme locale ». Ou mieux : « intrigue étrangère, personnages locaux et encore la voix narrative locale » ; et ce serait précisément dans cette dimension tripartite que « ces romans semblent être plus instables – plus incommodes » (Moretti 2013). De cette manière, ce que la consolidation du champ d’étude des littératures africaines comparées rend possible, c’est la possibilité de penser de manière plus productive la relation entre le littéraire et le social, entre forme et (trans)formation, entre sujet et intérêt, dans un geste épistémologique tributaire de la méthodologie et de la théorie qui régissent, par exemple, les études régionales (Spivak 2003) et les études sur le système-mondial moderne (Wallerstein 2004). En outre, la perspective comparée me semble en devenir fondamentale pour rendre un sens quelconque – en des termes conceptuels mais également épistémologiques – à ce qui est devenu le lieu commun des études littéraires et postcoloniales, au niveau global mais aussi dans le Brésil d’aujourd’hui : l’idée tant désirée (et nécessaire) de « décolonisation du savoir ».

En ce sens, toute possibilité de décolonisation littéraire dans les divers contextes du continent africain ne passe pas par une simple substitution de l’étranger par le national, ou de l’importé par l’autochtone, de la littérature écrite par la littérature orale, du blanc par le noir, de l’homme par la femme, mais plutôt par la remise en cause des « structures d’attitudes et de références » (Said 1993) qui sous-tendent un champ du savoir. Le débat qui a dernièrement caractérisé la littérature comparée, notamment en ce qui concerne deux moments clés : l’émergence du champ d’étude de la littérature mondiale (world literature, avec ou sans trait d’union) et la dite « mort de la discipline » (Spivak 2003) me semble être un point de départ extrêmement productif pour réfléchir aux défis auxquels l’étude des littératures africaines est confrontée aujourd’hui.

Il s’agit, en somme, de repenser le vocabulaire et la grammaire critique qui guident ces champs d’études. À l’instar de ce qui s’est passé durant les années 2000 dans les études de littérature comparée et de world-literature, la question serait alors : que signifie penser et étudier les littératures africaines aujourd’hui ? Compte tenu des transformations que le roman africain moderne a enregistrées depuis le moment de son affirmation – en prenant pour point de départ (stratégique) la publication de Things fall apart (1958) – quelles révisions conceptuelles et réorientations critiques deviennent nécessaires pour lire et penser ces écrits ? Telles sont les questions auxquelles le projet de recherche actuellement en cours vise à répondre, quoique partiellement, et dont ce texte entend, en partie, rendre compte, avec la ferme conviction que « l’univers est le même, les littératures sont les mêmes, simplement, nous les regardons d’un point de vue divers ; et l’on se met à comparer pour une raison très simple : parce qu’on est convaincu que ce point de vue est meilleur » (Moretti 2013).

Références #

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  1. Voir à ce propos la discussion proposée par le Collectif de Recherche de Warwick in WREC 2020. ↩︎

  2. Voir à ce propos : Spivak 2003, WREC 2015 et Young 2012. ↩︎

  3. Je n’utilise cette définition qu’afin de réaliser une synthèse, constatant son caractère problématique en termes critiques et conceptuels, notamment dans le champ d’étude des littératures africaines. ↩︎

  4. Je me réfère ici à l’équation entre pensée philosophique européenne/occidentale et dimension universelle, une question largement débattue dans le champ de la théorie critique postcoloniale. Parmi une vaste bibliographie, voir : Souleymane Bachir Diagne (2013). ↩︎

  5. En ce sens, le nombre d’étude qui se concentrent sur des questions et des habitudes culturelles spécifiques dont la représentation littéraire conduit à des attributions d’authenticité souvent erronées est paradigmatique. Je pense notamment au thème de la polygamie dans l’œuvre de Paulina Chiziane, qui a certaines interprétations équivoques sur cette pratique, comprise comme un élément commun dans le contexte mozambicain ou évaluée comme positive ou négative sur le plan culturel et social. ↩︎

  6. Cette dimension est particulièrement visible lors de l’examen des projets de recherche présentés dans le cadre des processus de sélection pour les programmes de recherche, ainsi que pour l’obtention de bourses scientifiques. ↩︎

  7. À cet égard, comme l’a déclaré le Collectif de recherche de Warwick : « Il semble certainement y avoir un consensus croissant sur le fait que le domaine des études littéraires devra se réinventer dans les années à venir – pas seulement parce que, soumis à des pressions extérieures irrésistibles, il n’a pas d’autre choix, mais aussi parce que ce qu’on entend par « études littéraires », ce qu’elles signifient et représentent – où et comment, par qui et à quelles fins – sont devenues (encore une fois) des questions pressantes pour les chercheurs dans ce domaine » (WREC 2020, p. 21). ↩︎

  8. La catégorie Littératures africaines comparées désigne un périmètre/domaine disciplinaire où s’articulent les paradigmes des études régionales (cf. Études africaines, Études de l’océan Indien, Études atlantiques, entre autres) avec les postulats critiques qui guident les développements les plus récents des études de littérature comparée et de littérature(-)mondiale (Moretti 2013 ; WREC 2015 et 2020). Je ne fais donc pas référence à la pratique de la comparaison d’œuvres et d’auteurs qui s’inscrivent dans des contextes géopolitiques différents ou qui écrivent dans des langues différentes, mais plutôt à une pratique critique qui croise des concepts et des hypothèses méthodologiques propres au champ comparatiste. Voir à ce propos Brugioni 2019. ↩︎

  9. À comprendre comme des domaines contigus et, simultanément, divergents, notamment au regard de leurs débats critiques et développements conceptuels les plus récents. ↩︎

  10. Voir la réflexion proposée par Gram Huggan, d’une part, dans Huggan 2001 et, dans une perspective très distincte, par Aijaz Ahmad dans Ahmad 2002. ↩︎

  11. Voir à ce propos : Said 1993, Jameson 2002 ; Moretti 2013 ; WREC 2015 et 2020. ↩︎

  12. J’adopte cette double graphie pour mettre en relief les différents sens et cadres critiques qui soutiennent la catégorie de littérature monde (world literature) et littérature mondiale (world-literature) avec et sans trait d’union. À ce propos, voir WREC 2020 et Medeiros 2019. ↩︎

  13. Pour une discussion autour des possibilités théoriques du concept de littérature mondiale proposé par le WREC dans le champ des littératures de langue portugaise, voir Paulo de Medeiros « 11 1⁄2 Teses sobre o conceito de Literatura-Mundial » (Medeiros 2019). ↩︎

  14. À cet égard, voir les travaux développés par des chercheurs qui se concentrent sur les processus de formation de ces littératures. Parmi une vaste bibliographie, je voudrais souligner les travaux de Laura Cavalcante Padilha sur la littérature angolaise et celui de Ana Mafalda Leite sur la littérature mozambicaine. ↩︎

  15. Le paradigme de formation élaboré par Antonio Candido est, sans aucun doute, l’apparat critique le plus important (en termes de quantité et de qualité) dans le domaine des études de la littérature africaine dans le contexte brésilien et, plus généralement, dans les contextes académiques de langue portugaise, qui se présente comme une ressource critique fondamentale dans le processus de singularisation des cinq littératures africaines écrites en portugais et, par conséquent, un apparat conceptuel déterminant dans la définition – critique et institutionnelle – de ces systèmes littéraires dans la perspective des littératures nationales. ↩︎

  16. Nous faisons évidemment référence à Pascal Casanova (1999). ↩︎

  17. Le relevé quantitatif est encore en cours d’élaboration au moment de la rédaction de ce texte, il n’est donc pas possible de présenter ne seraient-ce que des données partielles de cette recherche. A noter toutefois que cette partie de la recherche sera publiée dans le cadre des résultats partiels et finaux du projet de recherche Fapesp actuellement en cours et en vigueur jusqu’à fin 2023. ↩︎

  18. Il s’agit d’un ajout de la traductrice. ↩︎

  19. Le corpus analysé dans le cadre de la recherche « Comparativismos Combinados e Desiguais. Repensar o campo dos estudos literários africanos e pós-coloniais à luz do debate sobre literatura-mundial » est constitué par les auteur.es suivant.es : Abdourahman A. Waberi ; Abdulrazak Gurnah ; Ananda Devi ; Chimamanda Ngozi Adichie ; João Paulo Borges Coelho ; J.M. Coetzee ; M.G. Vassanji ; Nadine Gordimer ; Nuruddin Farah. Il s’agit, toutefois, d’une sélection initiale et donc suceptible de subir des changements découlant des recherches qui seront menées dans le cadre du projet. ↩︎

  20. La notion de post-national est tributaire de la réflexion développée sur le post- dans post-colonial par Homi K. Bhabha (Bhabha 1994) et, par conséquent, un post- qui ne désigne pas un après (temporel et/ou spatial) mais qui se focalise sur la dimension de persistence transformée et récursivité (Stoler 2011), dans ce cas précis, du national. ↩︎

  21. Jéssica Falconi affirme à ce propos : « Ainsi, un ensemble de chercheurs, parmi lesquels il faut souligner ceux d’une génération plus récente, misent sur une « décliNation » comparatiste renouvelée, visant à problématiser tant l’étude strictement nationale des corpora de ces littératures, convoquant la dimension comparée pour « décliner », c’est-à-dire, refuser la Nation comme unité d’analyse fermée et unique quant aux frontières linguistiques héritées par les études des littératures africaines contemporaines – lusophonie, francophonie, anglophonie, etc ». (Falconi 2021, 29) ↩︎

  22. À ce propos, voir l’utilisation du concept de réalisme allégorique chez João Paulo Borges Coelho proposée par Paulo de Medeiros dans Brugioni et al 2020, 219-247. ↩︎

Pour citer ce texte :

Elena Brugioni. 2023. « Comparativismes Combinés et Inégaux : Repenser le champ des études littéraires africaines à l’aune du débat sur la littérature mondiale ». In Colonialismes et colonialités : théories et circulations en portugais et en français, Guerellus, Natália. Lisbonne-Lyon : Theya Editores - Marge - MSH Lyon Saint-Étienne. https://cosr.quaternum.net/fr/07.

Elena Brugioni

Université de l'État de Campinas (Brésil)

elenab@unicamp.br

Elena Brugioni est professeure des universités en littérature comparée au département de théorie littéraire de l’Institut d’études linguistiques de l’Université d’État de Campinas. Elle est co-coordinatrice de KALIBAN - Centre de recherche en études postcoloniales et littérature mondiale (CNPq).